Pour que moins de nourriture finisse à la poubelle
Fondée en 2017, la start-up Kitro a pour objectif de réduire le gaspillage alimentaire dans le secteur de la restauration. Pour ce faire, les deux fondatrices ont développé un appareil qui analyse ce qui est jeté à la poubelle.
Un simple regard suffit à beaucoup pour en avoir l’eau à la bouche: un riche buffet dans un restaurant avec de nombreux saladiers et assiettes garnis fait battre le cœur des gourmets.
Le hic dans cette histoire, c’est que de nombreuses personnes mettent plus de mets dans leur assiette qu’elles ne peuvent en manger. Et les restes finissent à la poubelle. Chaque année en Suisse, 2,8 millions de tonnes de nourriture sont jetées au lieu d’être consommées. Environ 210 000 tonnes de ces produits sont consommés dans le seul secteur de la restauration. Ce triste chiffre a été relevé par l’Office fédéral de l’environnement.
Naomi MacKenzie et Anastasia Hofmann se sont dit qu’il faudrait faire quelque chose contre cela. Le gaspillage alimentaire dans la restauration, elles le connaissent bien pour l’avoir vécu. Pendant leurs études à la prestigieuse École hôtelière de Lausanne, elles ont travaillé dans des restaurants en Suisse et à l’étranger. Elles y ont vu combien de plats préparés avec soin étaient jetés sans aucun égard. Mais grâce à leur formation, elles savaient également que ces aliments avaient une valeur – pas seulement symbolique, mais en euros, en francs et en centimes.
Un début difficile
«Mais personne dans les restaurants n’était capable d’estimer exactement la quantité de produits réellement jetés, ni leur valeur», se souvient Naomi MacKenzie. Elles ont voulu changer cela et en ont fait un modèle commercial. L’idée est aussi simple que séduisante: un appareil placé sur la poubelle pour les déchets biologiques mesure directement à la source la quantité de restes de nourriture qui se retrouve à la poubelle. Sur le thème de la «Durabilité dans les cuisines de restaurant», Naomi MacKenzie et Anastasia Hofmann avaient déjà remporté un concours à l’École hôtelière de Lausanne. Mais lorsqu’elles se sont lancées dans la création de leur start-up en 2017, elles ne se doutaient pas des obstacles qui les attendaient. «Nous savions ce que nous voulions créer, mais pas comment», se souvient la cofondatrice MacKenzie. Pour compliquer les choses, elles ont commencé à travailler sans investisseurs et n’avaient pas d’argent propre à investir. Avec des ressources limitées, il a été difficile au début de trouver des collaboratrices et des collaborateurs.
Chaque année en Suisse, 2,8 millions de tonnes de nourriture sont jetées au lieu d’être consommées.
Un financement de projet de la plateforme de promotion de l’innovation Innosuisse les a aidées à surmonter ces premiers obstacles et leur a permis de collaborer avec la Haute école zurichoise de sciences appliquées (ZHAW). «Les sept premiers mois, nous ne nous sommes pas versé de salaire du tout, et par la suite, nous n’avions que de petits revenus», explique MacKenzie.
Le premier tour de financement a été réalisé en 2018 par des business angels. Désormais, la recherche de personnel informatique est également devenue plus facile: en effet, le thème «Réduire le gaspillage alimentaire» répond au désir de donner un sens à son travail, ce que souhaitent de nombreux jeunes talents. L’appareil de mesure high-tech de Kitro – une caméra et une balance de précision – enregistre tous les déchets alimentaires et les analyse automatiquement. Chaque fois que quelqu’un jette des restes de nourriture dans la poubelle, ils sont photographiés, pesés et l’heure est enregistrée.
Logiciel intelligent
Le système est désormais si perfectionné qu’il peut lire d’où proviennent les déchets grâce au logiciel de reconnaissance d’images. Comment l’algorithme le sait-il? Naomi Mac Kenzie rit: «Si ce sont des épluchures de carottes, elles viennent de la cuisine. Et s’il y en a plus de 450 grammes à la fois, les déchets ne peuvent pas provenir d’une assiette, mais de la surproduction de la cuisine.» Après un à deux mois dans le restaurant, les premières données sont évaluées. Cela permet d’identifier ce qui est le plus souvent éliminé. Par exemple, il reste toujours trop de frites le lundi. Selon le package choisi, il s’agit non seulement d’une analyse, mais aussi d’une proposition de mesures visant à éviter le gaspillage alimentaire. Donc, par exemple, produire moins de frites le lundi.
«Depuis que la caméra est là, les collaboratrices et collaborateurs ont plus d’égard au moment de jeter quelque chose.»
Selon Naomi MacKenzie, il n’est pas si facile de répondre à la question des causes du gaspillage alimentaire. Ce n’est pas forcément la faute des hôtes, comme on pourrait le penser. «Il y a aussi une surproduction dans de nombreux endroits, car les restaurants veulent qu’il y ait du choix sur un buffet», explique Naomi MacKenzie. Pour des raisons d’hygiène, beaucoup de choses sont ensuite jetées.
Entre-temps, Kitro est devenue une entreprise qui emploie douze personnes en Suisse. Actuellement, 150 appareils sont en service dans des cantines d’entreprises, des universités, par exemple à l’EPFL de Lausanne, des hôpitaux et des hôtels.
Œufs brouillés ou bacon?
Depuis février 2022, quatre appareils sont installés à l’hôtel Marriott de Zurich. «Nous avions besoin d’un système pour mesurer les déchets alimentaires de manière plus détaillée», explique Frank Brabant, Director of Food & Beverage de l’hôtel Marriott. Au début, il n’arrivait pas à s’imaginer comment l’intelligence artificielle pouvait savoir si c’était du bacon ou des œufs brouillés qui atterrissaient dans la poubelle. Mais il explique que depuis le début, l’IA a été nourrie de tant de paramètres qu’elle est capable d’analyser les aliments de manière de plus en plus précise.
Depuis l’arrivée de la caméra, les collaboratrices et collaborateurs ont, selon Brabant, «plus d’égard au moment de jeter quelque chose». Le personnel de cuisine et de service est désormais davantage sensibilisé à ce sujet. En l’espace d’un an, Frank Brabant et son équipe ont pu réduire les déchets alimentaires par convive de près de 160 à 73 grammes. En effet, les nouvelles connaissances influencent les achats et la planification de la production. Grâce à un coup d’œil quotidien sur les chiffres, il détecte les valeurs à la hausse ou à la baisse et peut intervenir plus rapidement si nécessaire.
Les fondatrices envisagent l’avenir de manière positive. Elles se réjouissent du fait qu’il existe dans notre pays de plus en plus de réglementations légales en matière de durabilité et que les grandes entreprises, en particulier, veulent et doivent accorder plus d’importance aux critères ESG, c’est-à-dire aux critères environnementaux, sociaux et de gestion d’entreprise responsable – également en ce qui concerne leurs propres investisseuses et investisseurs. Naomi MacKenzie: «De nombreuses entreprises doivent faire quelque chose pour la durabilité et les chiffres montrent qu’elles peuvent économiser le plus sur le plastique et le gaspillage alimentaire.»
Sensibiliser dès le plus jeune âge
Mais qu’en est-il des 778 000 tonnes de nourriture jetées chaque année par les ménages? Kitro a-t-elle également une solution à proposer et mettra-t-elle bientôt au point une poubelle intelligente pour la maison? Naomi MacKenzie secoue la tête en disant: «Pas vraiment. Je ne pense pas que les gens ont envie d’avoir une caméra de plus à la maison.» Elle estime toutefois qu’il est très important de sensibiliser la société à ce sujet et d’accroître l’attention portée à cette question, y compris dans les instituts de formation. Ils le font dans le cadre de différents projets à différents niveaux, des élèves de maternelle aux étudiants universitaires. Leur objectif est clair: faire comprendre la valeur de la nourriture.
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