Depuis août 1912, le Chemin de fer de la Jungfrau relie la Kleine Scheidegg au Jungfraujoch en passant par l’Eiger et le Mönch.
Depuis août 1912, le Chemin de fer de la Jungfrau relie la Kleine Scheidegg au Jungfraujoch en passant par l’Eiger et le Mönch. Credit: Adobe Stock
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Encore une année noire pour les remontées mécaniques

Les remontées mécaniques ne parviennent toujours pas à sortir du rouge. Dans le même temps, elles ont fait des investissements considérables.

Sylviane Chassot

Le groupe Jungfraubahn revient loin en arrière pour décrire son dernier exercice financier: nous pouvons faire des parallèles avec la Première Guerre mondiale, indique l’entreprise dans sonrapport annuel.

Le chemin de fer menant au Jungfraujoch a été inauguré en 1912 et la guerre a éclaté au cours de l’été 1914. En décembre dernier, la société a franchi une nouvelle étape avec l’ouverture du V-Bahn. Ce téléphérique transporte - ou aurait pu transporter - les passagers depuis Grindelwald jusqu’au glacier de l’Eiger en 15 minutes. Cependant, en raison de la deuxième vague de coronavirus, la plupart des clients sont restés chez eux. C’est la première fois depuis la création de la Jungfraubahn Holding que la société enregistre des pertes. Le plus gros segment, le Jungfraujoch, a perdu environ la moitié de son chiffre d’affaires. Le recul enregistré sur le segment des montagnes d’aventure est similaire. Les sports d’hiver s’en sortent mieux, avec un nombre d’entrées également en baisse de 16%, mais un chiffre d’affaires qui n’a reculé que de 3,6%. Comme chacun le sait, les installations ont pu rester ouvertes et il a fait beau. L’ouverture du V-Bahn aurait également pu permettre de pratiquer des tarifs plus élevés dans certains cas, déclare le CEO Urs Kessler.

Des chiffres similaires à ceux des années 1980

Cela reste au demeurant une maigre consolation pour le groupe qui dépend fortement des visiteurs étrangers. En temps normal, la clientèle provient principalement d’Asie, mais aussi des Etats-Unis et des pays européens. Au cours de l’année record que fut 2019, il y a eu plus d’un million de visiteurs. Les choses ont commencé à se gâter dès le mois de janvier 2020. Les groupes de touristes en provenance de Chine ont cessé de venir. L’année dernière, il y a eu 362 000 visiteurs – des chiffres comparables à ceux des années 1980, précise l’entreprise. La construction du V-Bahn, plus coûteuse que prévue, n’a fait qu’empirer les choses. Au lieu des 320 millions de francs prévus au budget, le groupe a investi 340 millions de francs, dont

91 millions rien que l’année dernière. Cette année, cela représentera probablement 20 millions de francs supplémentaires, déclare Urs Kessler, CEO du groupe. Des mesures de réduction des coûts et le chômage partiel ont permis de couvrir les dépenses au niveau de l’Ebitda. Cette situation est inconfortable puisque l’entreprise essuie une perte juste après avoir fait d’importants investissements. Mais le Chemin de fer de la Jungfrau est loin d’être la seule entreprise concernée dans ce secteur. Les remontées mécaniques du Titlis, qui prévoient également un investissement important avec un nouveau restaurant d’altitude et un deuxième téléphérique, sont actuellement déficitaires. Toutefois, contrairement au groupe Jungfraubahn, le projet du Titlis a été mis en veille pour le moment. La BVZ, qui exploite également des chemins de fer dépendant du tourisme avec le Matterhorn Gotthard Bahn, le Gornergrat Bahn et le Glacier Express, est dans le rouge. La société envisage l’achat de 27 trains d’ici 2028 pour un coût de 300 millions de francs. Douze d’entre eux ont déjà été commandés.

Les trois sociétés de remontées mécaniques cotées en bourse peuvent se permettre d’être optimistes après de longues années placées sous le signe de la rentabilité. La confiance est donc de mise.

Des perspectives optimistes

Il est clair que l’année 2021 risque d’être encore «une année de perdue», explique Björn Zern. Expert en petites capitalisations, il analyse le segment des remontées mécaniques depuis vingt ans. Les entreprises estiment malgré tout pouvoir atteindre des chiffres similaires à 2019 dès 2022. Cependant, les prévisions s’apparentent actuellement davantage à de la voyance. En effet, si l’évolution de la pandémie en Suisse et à l’étranger reste encore difficilement prévisible, elle est cruciale pour la suite des événements dans le secteur du tourisme. Le dividende devrait donc être supprimé en 2020 ainsi qu’en 2021. Les titres du groupe Jungfraubahn ont gagné énormément de terrain depuis le début de la crise. «Le cours a déjà bien progressé. D’une manière générale, il me semble que les investisseurs sont un peu trop optimistes en pensant que 2022 sera une année identique à 2019», selon M. Zern. Une entrée n’est pas non plus très intéressante en raison de la faible liquidité des actions. Malgré toutes ces difficultés, la pandémie a également des aspects positifs pour le secteur. Avant le coronavirus, les petites et moyennes entreprises fortement axées sur la saison d’hiver rencontraient déjà des difficultés. Elles en ont doublement profité l’hiver dernier, car le temps et les conditions d’enneigement étaient parfaits. Une fois n’est pas coutume, les clients locaux sont restés en Suisse et sont venus en grand nombre, explique M. Zern. Cependant, pour M. Kessler, ce n’est pas une raison pour changer de stratégie maintenant: «l’Asie, les Etats-Unis et l’Europe resteront les marchés les plus importants.» M. Zern partage ce point du vue, car chaque Suisse a forcément déjà vu la Jungfrau une fois dans sa vie. «Sans la présence d’une clientèle venant de loin, l’investissement dans le V-Bahn a peu de chances d’être rentabilisé.»

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