«Offrez-vous de la qualité!»
La consommation pèse sur l’environnement. Si l’on veut minimiser les dégâts, il ne faut pas seulement regarder le bilan écologique des produits et des services, mais aussi leur prix, conseille Rainer Bunge, professeur en ingénierie de l’environnement.
Andreas Minder
Une voiture, une nuit d’hôtel, un cours d’allemand, un meuble: chaque fois que nous dépensons de l’argent, nous consommons des ressources et dégageons des émissions. L’ampleur de l’impact environnemental peut être exprimée dans des bilans écologiques. Quiconque s’intéresse un peu à ce genre de questions sait que la viande, les moteurs à combustion et une grande surface habitable obtiennent de mauvais résultats. Pour une personne soucieuse du climat, la conclusion semble s’imposer d’elle-même: consommer le moins possible et, lorsque c’est le cas, uniquement des objets avec un bon bilan écologique.
Rainer Bunge, professeur en ingénierie de l’environnement à la Haute école spécialisée de Suisse orientale, estime qu’il s’agit là d’un court-circuit. Selon lui, le fait de renoncer à la consommation ne fait que repousser le problème dans le temps. En effet, si quelqu’un vit effectivement jusqu’à la fin de sa vie dans une grande parcimonie, ses descendants ont souvent tendance à dépenser son héritage dans des voyages, des voitures et des fêtes. Rainer Bunge estime que consommer moins n’est réalisable que si quelqu’un gagne moins, par exemple en travaillant à temps partiel ou en prenant une retraite anticipée. Ou lorsque l’argent est utilisé pour quelque chose qui profite à l’environnement. Les certificats CO2, qui permettent par exemple de compenser les émissions des voyages en avion, en sont un exemple. Ou l’achat de permis de polluer dans le cadre de systèmes d’échange de quotas d’émission (voir encadré). Bunge part toutefois du principe que la plupart des gens ne sont pas prêts à dépenser une part importante de leurs revenus pour quelque chose qui ne leur est pas directement utile.
Des conséquences néfastes pour le porte-monnaie
Cette majorité de la population modérément respectueuse de l’environnement ne devrait-elle pas au moins acheter des objets présentant un bon bilan écologique? Opter pour une Smart plutôt que pour une Porsche? «Non», dit Bunge. Selon lui, il s’agit là de la deuxième partie du court-circuit, comme l’ont démontré ses études. En effet, la consommation ne dépendrait pas seulement de l’impact environnemental du produit acheté, mais aussi des «dégâts» qu’il provoque dans le porte-monnaie des acheteuses et acheteurs. L’exemple des voitures le montre: certes, la Porsche pollue presque deux fois plus que la Smart, mais elle coûte aussi plus de cinq fois plus cher. La personne qui s’offre la voiture de luxe a donc moins d’argent à disposition après l’achat, avec lequel elle pourrait acheter d’autres choses nuisibles à l’environnement.
«Le résultat est contre-intuitif et est souvent accueilli avec un étonnement incrédule.»
Pour pouvoir saisir le bilan écologique et l’effet «destructeur d’argent» de la consommation, Rainer Bunge a développé son propre indicateur: le «Specific Eco Cost Indicator» (SECI). Ce dernier indique l’impact sur l’environnement par euro dépensé lors de l’achat d’un produit donné. Rainer Bunge a calculé qu’un euro génère en moyenne 500 unités de charge écologique (UCE). Les UCE sont une mesure courante pour indiquer le degré de nocivité d’un produit (ou d’une action) pour l’environnement. Tous les flux de matières et d’énergie sont pris en compte, de l’extraction des matières premières à l’élimination en passant par la production et l’utilisation. Derrière les UCE se cachent des calculs compliqués. Le résultat est un indicateur qui permet de comparer les types de consommation les plus divers. 1000 UCE correspondent, par exemple, à un trajet de 2 kilomètres en voiture, un trajet de 23 kilomètres en train, 100 grammes de savon, 9 grammes de viande de bœuf ou 7 tasses de café.
Réduire à la fois l’argent et les gaz à effet de serre
Ceux qui veulent se débarrasser de leur argent de manière particulièrement durable achètent des certificats de pollution dans un système d’échange de quotas d’émission. La Suisse et l’UE disposent toutes deux de tels systèmes. Ils sont reliés entre eux et fonctionnent ainsi: la Suisse ou l’UE fixent un plafond aux émissions de gaz à effet de serre pouvant être émises par les industries à forte consommation d’énergie. Au fil des ans, ce plafond est abaissé. Chaque entreprise reçoit un «permis de polluer» de son État respectif en fonction du plafond fixé. Si une entreprise émet plus que ce qui lui a été attribué, elle peut acheter des droits d’émission supplémentaires, si elle n’a pas besoin de tous les droits, elle peut les vendre. En raison de la baisse du plafond, les droits d’émission se font plus rares et leur prix augmente. Cela incite à leur tour les entreprises à se tourner vers des technologies et des modes de production à faibles émissions.
L’association allemande Compensators veut accélérer ce processus. Elle collecte des dons, les utilise pour acheter des certificats et les met hors service. Cela signifie que les émissions de gaz à effet de serre sont réduites d’autant. Parallèlement, les certificats se raréfient plus rapidement et deviennent plus chers, ce qui devrait encore accélérer le passage à une économie plus respectueuse de l’environnement. Le prix d’une tonne de CO2 varie quotidiennement. Actuellement, il est d’environ 100 euros.
Pour plus d’informations:
Revenons à la comparaison entre la Smart et la Porsche. Supposons que deux personnes aient gagné beaucoup d’argent au loto. Que faire avec? Pour simplifier, tenons-nous-en aux idées stéréotypées. L’un des chanceux est un homme qui se laisse guider par sa testostérone. Il achète la Porsche et dépense 21 000 euros par an pour l’essence, l’entretien et l’amortissement, causant ainsi un dommage environnemental d’environ 7 millions d’UCE. La deuxième heureuse gagnante est une femme soucieuse de l’environnement. Elle opte pour la Smart. Les coûts annuels s’élèvent à 4000 euros et les dommages environnementaux à 4,5 millions d’UCE, soit seulement un bon tiers de ceux de la Porsche. L’affaire est entendue. La femme remporte la coupe de l’écologie! N’est-ce pas? Mais voilà, il manque encore l’aspect de la destruction d’argent. La femme qui conduit une smart a économisé 17 000 euros par rapport à celui qui conduit une Porsche. Si elle dépense cet argent dans un mix de consommation moyennement polluant (500 UCE par euro), elle arrive à un dommage environnemental total de 13 millions d’UCE. Presque deux fois plus que le propriétaire de la Porsche.
Acheter un Picasso plutôt qu’un poster
«Le résultat est contre-intuitif et est souvent accueilli avec un étonnement incrédule», explique Rainer Bunge. Mais pour lui: «Il est préférable pour l’environnement d’acheter des produits chers.» Souvent, même lorsque leur bilan écologique est mauvais. C’est encore mieux si le produit coûteux obtient également de bons résultats en termes d’UCE. Comme l’art, par exemple. Un véritable Picasso détruit des quantités d’argent et génère à peine plus d’UCE qu’une affiche représentant une œuvre du même artiste. Les montres de luxe et les vêtements sur mesure sont également recommandés.
Les services sont également bien placés sur le plan écologique. Manger à l’extérieur, c’est mieux que de cuisiner à la maison, prendre un taxi, c’est mieux que de prendre le volant. Les massages, les thérapies et les formations détruisent également plus d’argent que d’environnement. Et ils procurent du plaisir. À cet égard, les résultats de la recherche sur le bonheur concordent avec les conclusions de Rainer Bunge. Ce dernier explique: «Ne vous encombrez pas de choses matérielles, mais offrez-vous des expériences. Elles restent pour toujours dans votre mémoire.» Sa propre expérience le confirme. «Je me souviens encore des concerts de rock pour lesquels j’ai dépensé ce qui me semblait être une fortune lorsque j’étais étudiant. Par contre, j’ai oublié ma deuxième moto depuis longtemps.»
Grâce à ses éditions spéciales thématiques en supplément à la Tribune de Genève, le journal propose régulièrement à ses lecteurs une exploration de sujets variés.